Fake news debunk : La mort annoncée de WordPress en 2025
TL;DR : Wordpress ne va pas mourir, en tout cas pas en 2025. Et Worpdress.org ne ferme pas. Certains services ont été suspendus pour les fêtes de fin d'année 2024, mais ils sont de nouveau opérationnels (en tout cas en ce 17 fevrier 2025) . Le téléchargement de WordPress et les mises à jour, comme les plugins, n'ont jamais cessé de fonctionner. Cette histoire est un drama entre entreprises US. Qui nous permet de lever le voile sur un écosystème et ses personnalités.
Je décrypte pour vous ce drama.

WordPress a été créé en 2003 et a toujours été open source, donc libre, gratuit, téléchargeable, modifiable et activement amélioré au fil des ans par une communauté de développeurs « idéalistes » dans un esprit communautaire et gratuit, et utilisé par une communauté plus grande encore d’utilisateurs qui ne cesse de croître.
Parmi les premiers fondateurs, on trouve le développeur Matt Mullenweg. Qui a créé sa boîte en 2005 par ailleurs, nommée Automattic. Il se trouve que sa société a énormément œuvré pour améliorer WordPress au fil du temps (gratuitement, mais non sans espérer un ROI), c’est ce qu’on appelle un contributeur majeur au projet.
Il existe 2 gros sites très connus avec le même nom mais pas du tout la même intention.
- Vous avez wordpress.org, le site officiel qui héberge les fichiers d’installation de wordpress, qui publie les versions récentes et officielles au fur et à mesure. C’est la Source, la ruche, la Bible. Sur ce même site, il y a un énorme forum, des ressources pour les développeurs, et, très utilisé, un annuaire de plugins. Cet annuaire est à lui tout seul un enjeu car quand un dev fabrique un plugin, pouvoir le référencer sur cet annuaire est indispensable pour sa visibilité. C’est un peu comme l’AppStore du monde WordPress. Il y a aussi un annuaire de thèmes. Et on peut télécharger tout ça depuis le site. De la même façon, quand on met à jour son WordPress ou ses plugins, eh bien WordPress va tout seul charger les mises à jour depuis wordpress.org.
Bref, wordpress.org est la partie communautaire du projet, la partie technique.
Qui possède wordpress.org ? C’est la fondation WordPress, dont le fondateur n’est autre que… Matt Gullenweg. - Ensuite vous avezwordpress.com.C‘est un site commercial, qui héberge des sites WordPress, de façon quasi transparente, un peu comme Wix. On s’inscrit, c’est gratuit, et on peut démarrer son site/blog. Cela créée automatiquement un site wordpress en coulisses, mais l’utilisateur ne voit pas la couche technique, du coup c’est facile et transparent. Si on veut aller plus loin, installer des plugins avancés, ça devient payant. C’est très simple et orienté débutant, on ne peut pas faire des sites comme on les vend à nos clients avec ça.
LE truc important à savoir, c’est que comme par hasard c’est Automattic et donc Matt Mullenweg qui possède et opère wordpress.com.
Matt Mullenweg a donc 2 casquettes et il est impliqué dans les 2 sites.
- L’un a but commercial qui soutient massivement le projet open source communautaire en affectant ses ressources et ses développeurs à l’amélioration de WordPress,
- L’autre à but non lucratif qui fait monter l’engouement et améliore constamment WordPress(.org) pour le rendre attractif et le garde en leader, mais c’est son intérêt car ça ramène bcp d’argent à wordpress.com
Jusque là, c’est le modèle « classique » de l’open source :
- Un logiciel qu’on propose gratuitement pour le rendre populaire et très utilisé, qu’on open-source (donc dont on met à disposition le code source) pour que tout.e.s puissent coder et proposer des améliorations, patcher les failles etc. Cela donne une force de frappe phénoménale au projet car à part les GAFAM, personne ne peut s’offrir 10.000 développeurs pour bosser sur ses logiciels.
- Puis une « surcouche » payante, créée par une entreprise qui vend son expertise ou développe des services sur l’outil, ou qui vend des add-ons.
20 ans passent.
Au fil des ans, WordPress prospère, l’écosystème devient énorme, beaucoup d’éditeurs de logiciels créent des plugins, des thèmes et autres. On estime à entre 500 millions et 1 milliard, le nombre de sites WordPress confondus (hébergés en propre ou sur wordpress.com). Ce qui est tout bonnement astronomique. On voit apparaître des hébergeurs qui se spécialisent dans l’hébergement WordPress, qui a des besoins techniques spécifiques pour tourner de façon très rapide.
Parmi elles, 2 ténors : wordpress.com et WP Engine. Vous commencez à voir venir le drama.
WP Engine, c’est un hébergeur possédé par un gros fond d’investissement, qui ne cherche qu’une chose : maximiser les profits et se gaver sur le dos de WordPress, en mode archi-capitaliste. Et sans contribuer en retour au code source (ou alors de façon infinitésimale).
Puisque c’est libre, gratuit et open source, pour ne pas dire open bar, WP Engine a fait pareil que wordpress.com : une plateforme sur laquelle tout le monde peut créer son site wordpress sans connaissances techniques et à moindre coût. C’est un carton, et WP Engine gagne 130+ millions USD par an, ce qui est pour le moins conséquent.
Quand on crée son site sur WP Engine, et qu’on veut le mettre à jour, WP Engine va en fait se servir sur wordpress.org (vous savez, le site communautaire). De façon tellement massive (parce qu’ils gèrent des millions de sites) que payer les serveurs de wordpress.org pour que WPEngine se gave dessus, coûte une fortune. Ajouté à cela que WP Engine ne contribue quasiment pas à WordPress contrairement à Automattic (dixit Mullenweg, mais ça semble vrai). C’en est trop pour Matt.
===> C’EST LA QUE LE DRAMA COMMENCE <===
On arrive fin 2024, et pour faire simple, Matt Gullenweg a la moutarde qui lui monte au nez, à voir ainsi son principal concurrent WP Engine prospérer en pillant ce qu’il considère comme SON travail et SES contributions sur WordPress.org, grandement financées par sa boite Automattic.
Il commence à mettre la pression sur WP Engine en exigeant une rétribution pour utiliser WordPress.org, pour compenser les coûts des serveurs et participer plus activement au développement communautaire. En étalant au grand jour ce qu’il considère comme un scandale lors d’une conférence très suivie, allant jusqu’à qualifier WP Engine de « cancer ».
Evidemment, WP Engine lui rit au nez, arguant du fait qu’il est écrit noir sur blanc dans la licence GPL Open source qu’on fait ce qu’on veut, comme on veut, de WordPress (et légalement, ils ont raison). Même si c’est de façon aussi massive, outrancière et cynique, c’est légal, point.
Matt Gullenweg n’en reste pas là, il bloque à WP Engine l’accès aux installations, mises à jour, de WordPress et tous les plugins, ce qui fait l’effet d’une bombe car cela impacte les millions de sites hébergés par WP Engine. Il poursuit également WPEngine en justice en parallèle.
En réponse, WP Engine lui balance un immeuble d’avocats avec une grosse catapulte, lui réclamant des sommes folles pour le manque à gagner que ses mesures ont causé.
et… Matt Mullenweg … perd son procès fin 2024 !
On arrive début 2025 et Matt Mullenweg, affublé d’un égo démesuré, n’admet pas la situation et décide de taper du pied comme un enfant capricieux, en suspendant (et non en fermant, nuance), sous prétexte de vacances de ses équipes en semaine 52, plusieurs services de wordpress.org : plus de nouveaux plugins ne sont intégrés dans l’annuaire (car il sont passé en revue à la main), plus de créations de comptes, plus de soumissions de nouveaux thèmes ou encore de photos. Mais on peut encore bien sûr télécharger WordPress, les mises à jours, les plugins. Tout cela en laissant planer le doute sur l’agenda de réouverture de ces services, histoire de créer un mini-suspense et buzzer un peu. Mauvais perdant (et on peut le comprendre), il proclame que la justice l’oblige à travailler gratuitement pour son plus gros concurrent. Dans le fond, on peut le comprendre.
My 2cents
En résumé, on assiste surtout à une guerre entre un fond d’investissement capitaliste US aux dents longues, ne jurant que par le profit maximum, et un businessman US également très riche, à l’égo surdimensionné. Matt Mullenweg a alerté la communauté d’une façon maladroite, en menaçant de prendre wordpress.org en otage, ce qui n’a pas manqué de semer le trouble.
On voit mal l’écosysteme wordpress s’effondrer en quelques mois, la première raison étant que sa chute entraînerait celle d’automattic et Mullenweg ne risque pas de tuer sa poule aux œufs d’or.
D’autre part, même si WordPress.org devait cesser toute activité, la communauté étant énorme et bien établie, gageons que des « forks », donc des projets dérivés, verront le jour pour continuer à le faire évoluer (un peu comme il existe différentes versions de Linux).
Quand bien même, WordPress est un (bon) outil pour faire des sites web, mais il n’est sûrement pas éternel et je ne le défends pas à tout prix, juste parceque c’est WordPress et que c’est ma zone de confort. Il arrivera bien un moment où il ne sera plus adapté, obsolète ou dépassé par des solutions plus récentes. D’autres solutions existent ou existeront, attaquant le marché par le bas en termes de coûts (IA’s, Wix, shopify etc). Je n’y vois pas une menace pour les agences (voire les freelances) parceque :
- ce marché low-end aux budgets très faibles n’est pas intéressant pour les créateurs de sites
- si une nouvelle solution leader émergeait pour les projets d’agence, cela serait une bonne nouvelle. Cela promettrait du business pour des années, tant sur les refontes que les migrations. Dans les années 2013/2015, nous avons réalisé quantités de refontes/migration de Joomla! vers WordPress, lorsque WordPress a gagné en France le match des CMS.
La fermeture de WordPress.org ne semble pas d’actualité. Sur le site officiel wordpress.org, il n’est nulle mention d’une quelconque fermeture (au 17.02.2025). Au contraire, ils viennent de publier un livre blanc qui promeut WordPress comme LA solution pérenne pour les prochaines années. En mars 2025, se tiendra la conférence virtuelle WordPress 2025, il y sera vraisemblablement question de ces histoires.
Les articles putaclics qu’on peut lire ça et là, relayant que wordpress.org va « définitivement fermer ses portes » en 2025 me semblent exagérés voire infondés à ce stade.
Il y a une bien une crise (sans doute provisoire) dans l’écosystème WordPress, due à un seul homme, qui l’a mauvaise parceque qu’un concurrent lui marche un peu trop sur les pieds.
Plus que les aspects technologiques, cette « crise » a le mérite de mettre en lumière la dépendance d’un projet d’envergure mondiale, au bon vouloir d’un seul homme. C’est plutôt cette question qui devrait interroger les décideurs. Le coup de semonce qui vient d’avoir lieu nous rappelle d’un petit courant d’air frais dans le cou, une situation hélas récurrente en matière d’IT made in USA (citons l’épisode Elon Musk vs Sam Altman sur le devenir d’OpenAI). Nous sommes pris dans les remous de cette concurrence.
A l’horizon 2025, aucune raison de ne pas continuer à envisager WordPress pour les projets de sites vitrines. Pour les apps, les boutiques en ligne ou les gros projets, en revanche, il faut peut-être attendre quelques mois pour que la poussière se dissipe et qu’on retrouve de la visibilité.